Table des matières
À quoi servent les savoirs scolaires ?
Conférence de Bernard Rey, Charleroi, avril 2016
Annonce :
- Les Cafés Conférences de l’Échevinat de l’enseignement de la Ville de Charleroi, en partenariat avec le Centre de Culture scientifique de l’ULB, l’UAE Charleroi-Le Centre , l’Extension de l’ULB, La Ligue de l’Enseignement et de l’Education permanente et Charleroi Danses proposent une conférence de Bernard Rey, Docteur en Sciences de l’Éducation et Professeur honoraire à l’ULB
- Mercredi 20 avril 2016, accueil à 14H30 - Charleroi Danses – Les Écuries - Boulevard Mayence 65C À 6000 CHARLEROI
- La conférence sera suivie d’un moment convivial
- Réservation souhaitée au 071/860.704 ou par mail : info.ensei03;nement@charleroi.be
Présentation
- Présentation générale : Serdar Kilic (échevin de l’enseignement)
- Introduction du conférencier : Jean Richelle (centre de culture scientifique)
- Bernard Rey, Docteur en Sciences de l’Education et Professeur honoraire à l’ULB
- Maîtrise de philosophie 1966 (Sorbonne)
- professeur de philosophie au Québec (Trois-Rivières)
- Doctorat en sciences de l’éducation, Université Lyon 2, 1994
- 1995 à 2007 : Service des Sciences de l’Education - ULB
- depuis 2007 : professeur honoraire
- Thèmes de recherche : formation des enseignants, mécanismes de production des inégalités,…
Conférence
Prise de note personnelle lors de la conférence. La conférence étant destinée à un public général majoritairement constitué d039;enseignants, l039;orateur n039;a pas inclus des références scientifiques précises.
- Question posée souvent par les adolescents : “Á quoi ça sert ?”. Il y a des matières pour lesquelles la réponse n039;est pas évidente (commenter un auteur, connaître la fonction des mitochondries, savoir pourquoi on utilise des logarithmes,…)
- À l039;heure actuelle (pacte d039;excellence, unités d039;acquis d039;apprentissage), que choisir de faire acquérir par les jeunes générations ?
- Les savoirs contribuent à la formation des individus, mais à condition de respecter une certaine manière.
- Savoir = information sur le monde (des “faits”, comme “la somme des angles intérieurs d039;un triangle = 180°”)
- Ensemble de faits liés de manière organique (énoncés liés entre eux, relations logiques, de causalité) = discipline (géométrie, physique électrique, grammaire, histoire de x/y/z, géographie,…). Les savoirs ne sont plus isolés, ils sont liés à d039;autres. Pour la somme des angles, on va voir aussi la raison pour laquelle c039;est le cas (la somme vaut 180°). On sait pourquoi on a découvert l039;Amérique (boussole, volonté de trouver un chemin nouveau vers l039;orient,…). Avec les conséquences, cela forme un savoir. La même information peut être vue de manière isolée, ou dans un contexte explicatif.
- Exemple en histoire/géographie : Rome est la capitale de l039;Italie. Le simple fait est peu intéressant. Mais en parcourant l039;histoire on peut voir en quoi cela a pu être problématique (cf. les autres capitales envisagées : Turin, Florence dans le cadre de l039;Italie réunifiée).
- Savoir comme information = énoncé isolé. Savoir explicatif : énoncés liés entre eux. La cohérence est un élément essentiel. C039;est ce qui permet d039;avoir un rôle explicatif.
- À l039;école, on peut enseigner les savoirs sous les 2 formes (isolés et explicatifs). Chacun trouve dans son expérience qu039;il est plus facile d039;enseigner des savoirs sous forme isolée → il suffit que les élèves apprennent par cœur ! Pour un savoir à expliquer, cela exige la compréhension, la capacité à faire des liens. Les énoncés qui sont les pièces du savoir explicatif sont, un par un, des éléments isolés. les élèves peuvent les prendre comme des listes, et pas comme un savoir organisé. La tentation est fréquente chez l039;enseignant de faire une synthèse et de demander d039;apprendre par cœur quelques phrases spécifiques. Autre tentation : poser des questions sur des savoirs mémorisés, et pas sur ce qui engage la compréhension du savoir. Ce mode d039;évaluation factuel est plus facile à corriger, et aussi plus facile à défendre devant les élèves et les parents. Poser une question qui permet de savoir si l039;élève a compris débouche souvent sur des réponses plus complexes, discutables. Cette façon de faire est cependant plus formatrice que des listes de savoirs.
- La vison explicative est plus générale. On introduit un rapport à autrui plus important pour la société.
- Si on demande des listes de savoirs, on demande d039;acquiescer. L039;élève est mis en position d039;accepter sans discussion : quelque chose est vrai parce que l039;enseignant l039;a dit. Au contraire, le savoir explicatif demande une adhésion, une reconstruction du vrai. L039;élève adhère non pas par obéissance, mais parce qu039;il a compris !
- Les savoirs scolaires sont utiles pour cette raison là. Pour que les élèves apprennent à comprendre. S039;il s039;agit juste de mémoriser, on est dans un régime d039;obéissance, de croyance. Dans notre société, nous avons tout lieu d039;avoir peur de ceux qui font passer leur croyance comme des savoirs. Mais le contraire est tout aussi négatif : faire passer des savoirs pour des croyances. Autre dérive : la confusion entre les savoirs et les opinions. Des élèves peuvent penser que les savoirs présentés par les enseignants sont des opinions. La contestation amène des élèves à dire qu039;ils ne sont pas d039;accord. C039;est à ce moment un signe que le savoir n039;a pas été correctement justifié. Le savoir est construit (ce n039;est pas une opinion). il est soutenu par un certain nombre de preuves. L039;opinion est soutenue par une expérience individuelle limitée.
- L039;école a tout à perdre à ne transmettre que des savoirs informatifs. De nombreux media le font beaucoup mieux, surtout actuellement (internet, vidéos sur le web,…). L039;école n039;est pas en mesure de rentrer en concurrence. Elle est par contre mieux placée pour expliquer comment et pourquoi le monde est ainsi. Même si cela existe aussi sur le web, l039;accompagnement par le professeur remplit un rôle important. C039;est ce qui est offert par l039;école. Il n039;y a pas d039;autre institution permettant d039;apporter cette aide.
- L039;intérêt du savoir explicatif, c039;est qu039;il habitue l039;élève à comprendre que la valeur d039;une affirmation ne dépend pas de celui qui la présente, mais de sa rationnalité, des explications (mais pas de l039;éminence du statut de celui qui présente l039;information). Les élèves ont le droit de penser par eux-même, et pas de devoir faire confiance aux autorités qui les entourent. L039;école fera un bon travail si elle fait déjà cela. L039;élève sera alors capable d039;aller examiner tous les savoirs possibles. cette capacité est plus importante que la quantité des savoirs enseignés.
- 3ème forme du savoir : forme non langagière. Pratique.
- Les savoirs ont été construits par des chercheurs, en suivant une démarche scientifique. Le chercheur examine une quantité importante de fait et essaye de dégager des régularités (des lois…). Il n039;y a pas de démarche scientifique qui démarre d039;une observation seule. La science est plutôt une interrogation du monde. Se demander pourquoi un objet tombe est plus important qu039;observer qu039;un objet tombe. Le comment est tout aussi important. Cette interrogation est plus importante que le résultat (et même que la vérité). Le chercheur n039;est pas satisfait par la vérité-résultat, lorsqu039;il l039;atteindra, il créera aussitôt un autre questionnement. Le spécialiste de la production de résultats sera, lui, dans une autre situation.
- Comment mettre les élèves dans la situation de l039;interrogation permanente ? N.B. : reconstruire les savoirs, c039;est une activité trop ambitieuse dans son acception littérale, qui est plutôt à remplacer par “reparcourir les justifications des savoirs qui s039;enchaînent les uns aux autres pour produire un savoir explicatif”.
- Méthodes actives. Mettre en activité les élèves peut les conduire à n039;effectuer que des observations, des constats, et à ne pas déboucher sur des questionnements. Ce n039;est pas un objectif en soi. Mettre en “activité intellectuelle” est le plus important : créer les conditions pour qu039;ils se posent et partagent un problème
- Citation de Philippe Meirieu : commencer une leçon en créant l039;énigme (NDLR : « créer l039;énigme, faire du savoir une énigme susceptible de mobiliser le désir de l039;apprenant… chercher à faire naître l039;intérêt de l039;élève en laissant entrevoir le plaisir de savoir sans livrer le secret de la connaissance… »). Quand on prépare une leçon, il faut préparer à l039;apprentissage des savoirs, mais étonner les élèves en les amenant à s039;interrgoger sur des faits.
- Mais c039;est ok bien sûr pour la mise en activité si elle conduit à une mise en interrogation.
- Ne pas penser que les élèves feront les liens ultérieurement. Apprendre à reconnaître les éléments d039;une fleur, ce n039;est pas très intéressant par rapport à l039;invocation du rôle de la floraison dans la reproduction, de l039;intervention des insectes,…. sans nécessairement aller trop loin. Balayer la nécessité de donner le lien, ce n039;est pas correct. Il faut donner au même moment des faits et des explications, même limitées, pas les “reporter à plus tard”.
- Dans les interactions avec la classe, lors d039;un dialogue, l039;enseignant doit adopter un profil bas. Si un élève répond, l039;enseignant peut valider ou invalider immédiatement la réponse. Il faut éviter de le faire, et différer la réponse : “qu039;est ce qui te fait penser que c039;est cela”, ou inviter les autres élèves à poser la question de la justification. L039;enseignant doit adopter une position basse et pas une position haute, de maître. En cela la gestion de la classe peut avoir beaucoup d039;importance.
- Beaucoup de choses se jouent à travers les évaluations. Les élèves réfléchissent souvent de manière stratégique, en vue de la réussite arithmétique (obtenir la moyenne), pas de l039;atteinte d039;objectifs. Si on ne pose que des questions de type factuel, les élèves vont se focaliser sur un apprentissage par mémorisation. Si on demande plutôt d039;expliquer, de justifier, alors on favorise une autre attitude chez les élèves.
- Ce ne sont pas les contenus qui sont les plus importants dans l039;enseignement. C039;est la démarche de problématisation qui est la plus importante. Avec deux ou trois clics dans un moteur de recherche, on peut accéder à beaucoup de faits. On doit apprendre aux élèves qu039;ils sont dignes d039;apprendre à comprendre le monde.
- Le sens de l039;école. Deux citations :
- 1791 Nicolas de Condorcet (sur l039;instruction publique) : « Le but de l039;instruction n039;est pas de faire admirer aux hommes une législation toute faite, mais de les rendre capables de l039;apprécier et de la corriger. Il ne s039;agit pas de soumettre chaque génération aux opinions comme à la volonté de celle qui la précède, mais de les éclairer de plus en plus, afin que chacun devienne de plus en plus digne de se gouverner par sa propre raison. »
- Philippe Meirieu : « Il faut aller à l039;école pour pouvoir tenir tête à son père, apprendre à user de la raison pour pouvoir critiquer la tradition, découvrir le pouvoir libérateur des connaissances, se dégager de ses préjugés. »
Questions
Questions et thèmes de commentaires abordés à l039;issue de la conférence :
- Démarche des compétence : capacité à remplir des tâches (instrumentalisation des savoirs) ?
- Le problème du désintérêt des élèves dans le secondaire : montrer à quoi servent des savoirs va améliorer l039;intérêt. Une voie longue montre la nécessité de former par les compétences si on veut former les élèves à comprendre les enjeux du monde. Les savoirs ne sont pas écartés (par rapport à une voie courte qui présenterait les compétences comme des nécessités pour la profession, pour la vie courante utilitariste)
- C039;est un échec institutionnel de ne pas avoir réussi à convaincre que les compétences n039;allaient pas à l039;encontre des savoirs.
- Classes inversées et autres technologies : les élèves peuvent être confrontés encore plus à des savoirs informatifs par ce biais. L039;enseignement, ce n039;est pas de l039;information et de la communication. La classe inversée peut être très discriminatrice et favoriser plus les très bons élèves.
- Dans le cadre de la démarche scientifique, “c039;est quoi l039;intuition ?”. Il n039;y a pas d039;éléments rationnels dans l039;intuition. À l039;école, on cherche à utiliser la raison, pas l039;intuition. L039;école n039;est pas faite pour préparer à cela. Spinozza disait de l039;intuition qu039;elle est une “saisie visuelle” d039;une chaîne rationnelle.
Références :
- Philippe Meirieu : https://fr.wikipedia.org/wiki/Philippe_Meirieu
- Livre de Bernard Rey : https://fr.wikipedia.org/wiki/Les_Comp%C3%A9tences_%C3%A0_l039;%C3%A9cole
- Entretien sur les compétences (2009) : http://www.cafepedagogique.net/lemensuel/lenseignant/primaire/elementaire/Pages/2009/103ElemRey.aspx
- CV de Bernard Rey : http://www.ulb.ac.be/facs/sse/cv-bernard.html
- voir aussi : "Enseigner aujourd039;hui à l039;aune des compétences", conférence du 16/03/2016, école Saint Exupéry, Tours