La chimie des chips
Learning chemistry and beyond with a lesson plan on potato crisps, which follows a socio-critical and problem-oriented approach to chemistry lessons, Ralf Marks, Stefanie Bertram and Ingo Eilks, Chem. Educ. Res. Pract., 2008, 9, 267-276. Sur base d'un résumé de A. V. V., AESS 2009-2010. (accès gratuit possible via le site de la RSC)
Le problème
L’article part d’une étude réalisée en Allemagne. Le constat est le même que partout ailleurs :
- la chimie est malheureusement peu populaire auprès des étudiants. La raison évoquée est que les cours sont trop orientés contenu, manquant donc de pertinence par rapport à la vie de tous les jours. Rien de très motivant pour les élèves, pour qui la chimie « ne sert à rien ».
- les élèves sont incapables d'appliquer les connaissances scientifiques qu’ils ont acquises. Il semblerait que l’enseignement n’est pas assez orienté vers la résolution de problèmes et les applications pratiques.
- Les cours ne sont globalement pas assez orientés vers l’interaction entre science, technologie et société, et semblent incapables de rendre les étudiants compétents en raisonnement socio-scientifique (esprit critique, éducation citoyenne,…).
La solution
Tout l’objectif de l’article est de proposer des leçons de chimie incluant des discussions sur des problèmes de société impliquant la science, et des discussions sur les applications réelles et potentielles de la science et de la technologie dans la société. Les auteurs insistent bien sûr sur le fait de ne pas négliger la compréhension des concepts scientifiques.
Cette méthode a pour but d’accroître l’intérêt des étudiants pour la science et les technologies, ainsi que de montrer la pertinence de la science dans les discussions sur la société, et de développer l’esprit critique avec de vrais débats. La méthode requiert quelques éléments clés qu’il faut absolument prendre en compte :
- Il faut utiliser des problèmes authentiques et actuels, discutés dans les médias. Les étudiants doivent voir qu’il ne s’agit pas d’une énième tentative maladroite d’enrobage des cours pour les rendre intéressants.
- Il faut utiliser ces médias : visualiser un reportage ou un débat télévisé, distribuer des articles de revue,… C’est ce à quoi les étudiants sont réellement confrontés !
- Le sujet doit permettre de vraies décisions, il doit permettre un débat réel où les différentes positions sont défendables.
- Il faut repérer les différents points de vue, voir en quoi ils sont opposés, analyser comment ils sont présentés, utilisés, manipulés…
- Et enfin, n’oublions surtout pas la chimie !
Un cas pratique : les chips
L’exemple développé dans l’article concerne les différents types de régime (faibles en graisses et faibles en glucides) et les chips plus précisément. Il a été mis en application en Allemagne.
Il y a depuis plusieurs années un débat continu sur l’impact des différents types de régimes. Il apparaît dans les journaux, à la télévision, et (surtout) dans les magazines pour adolescents. On tient donc un sujet qui normalement les touche (en tous cas une partie d’entre eux).
Même si ces sujets sont abordés dans les magazines, il est difficile d’en comprendre les tenants et aboutissants sans comprendre ce dont on parle : que sont les graisses ? Et les glucides ? Quels sont les apports énergétiques de ces substances ? Comment sont-elles traitées par le corps ? A côté de ça, on trouve de plus en plus de chips « light » : il peut être intéressant pour les élèves de comprendre les indications du genre « 30% de graisses en moins », de savoir si ces chips sont réellement moins « caloriques »…
En pratique, le plan de leçons s’étale sur 8 à 10 périodes et s’adresse à des élèves de 15-16 ans. Il comprend les étapes suivantes :
- On distribue aux étudiants des articles concernant le début sur les types de régimes.
- On leur offre aussi quelques sortes de chips : classiques, light, et au four.
- On évalue ensuite leurs opinions avec ce qu’ils nomment dans l’article « traffic light game » (feux de circulation) 1).
- On lit une affirmation, et chaque étudiant lève une carte rouge, jaune ou verte pour marquer (dés)accord.
- S’ensuit un petit débat sur les résultats du sondage.
- On forme deux groupes d’étudiants par type de chips. Chaque groupe va déterminer le contenu en lipides et en glucides de ses chips (le mode opératoire est décrit en détail dans le papier).
- On demande également aux étudiants d’en apprendre le plus possible sur les lipides et glucides à partir de documents.
- Ils apprennent par eux-mêmes (dépendance haute). Les documents devraient inclure des informations sur les structures moléculaires des lipides et glucides, leur présence dans différents types de nourritures, leur contenu énergétique…
- A la fin du laboratoire, les étudiants s’échangent leurs résultats.
- Chaque groupe se voit ensuite attribuer un rôle pour un talk-show final :
- auteur d’un livre sur les régimes faibles en glucides,
- producteur de chips classiques,
- fabriquant de chips au four,
- expert en relations publiques qui fait de la publicité pour les chips light,
- expert en nutrition qui milite pour un régime équilibré,
- une célébrité qui a suivi avec succès un régime faible en graisses…
- Dans chaque groupe, un étudiant est choisi pour prendre part au talk-show, et on lance le débat. Le reste des étudiants fait office d’assemblée, et peut se permettre questions et commentaires.
- La leçon se termine sur un nouveau « traffic light game » et un dernier débat en commun.
Les résultats
Les professeurs se sont montrés globalement satisfaits : une bonne ambiance règne pendant la leçon, il y a des débats positifs et très animés. Les étudiants débattent aussi du rôle des publicités (esprit critique !). Les professeurs ont même constaté que les débats se poursuivent après la fin des cours, ce qui démontre l’intérêt qu’une telle leçon peut susciter chez les élèves !
Du côté des étudiants, le bilan est également très positif. On leur a fait remplir un questionnaire. Les résultats sont assez parlants (et détaillés dans le papier). En particulier, ces cours ont été considérés plus intéressants et moins ennuyeux que des cours « classiques », le jeu « des feux de signalisation » a été apprécié (il permet aux étudiants d’exprimer leur avis et de connaître celui de leurs copains de classe), le fait de travailler et apprendre en groupe, et le fait que la leçon ne se contente pas de distribuer des connaissances théoriques en chimie. Il faut également noter que les sujets qu’on aborde souvent comme étant de la vie de tous les jours ne sont pas forcément pertinents pour des étudiants du secondaire (les déboucheurs wc par exemple).
Les conclusions
On a vu ici une approche réalisable, motivante et amusante qui permet non seulement d’apprendre la chimie mais également de développer les compétences des étudiants à discuter et à évaluer les choses avec un esprit critique. Il faut noter que les sujets doivent être bien choisis : ils doivent être pertinents et sujets à controverse. Si un seul point de vue est discutable, tout débat est impossible. Parmi d’autres sujets possibles, on peut citer les biocarburants, les alcopops, les produits de la salle de bain et les problèmes de santé qui peuvent survenir (hormones, cancérigène…), la voiture à hydrogène,…
Il pourrait être très intéressant, même si c’est plus difficile à mettre en place, de réaliser une telle leçon en coopération avec d’autres professeurs. L’importance de la biologie est évidente, avec la digestion et les problèmes de santé. Le rôle d’un professeur de français peut être de cadrer le débat et l’aspect « jeu de rôle ». Enfin, on peut ajouter une composante « regard des autres » au débat (l’aspect esthétique des régimes) avec un professeur de religion ou morale.
C’est évidemment beaucoup de travail, mais c’est quelque chose qui peut radicalement changer la vision de la chimie des élèves, et qui peut développer leur esprit critique (éducation citoyenne).