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Enseigner la chimie organique via la taxonomie de Bloom ?
Teaching Introductory Organic Chemistry: “Blooming beyond a Simple Taxonomy, M.D. Pungente, R.A. Badger, J.Chem.Educ., 2003, 80, 779. Résumé de D.F. 2010-2011. Article d'intérêt didactique
Introduction
Souvent, la chimie organique est vue pour la plupart des élèves comme la bête noire des sciences. Ils doivent s’accrocher toute l’année pour passer et espèrent mémoriser suffisamment pour réussir ce cours. Les élèves s’inscrivent en chimie organique avec une certaine appréhension, généralement le résultat de rumeurs d’anciens élèves qui « tant bien que mal » ont réussi ce cours.
En tant que professeur, nous devons nous inquiéter de cette situation. En effet, la chimie organique est un prérequis nécessaire pour un certain nombre de disciplines telles que le biochimie, biologie, dentisterie, médecine, etc…
Taxonomie de Bloom
Avant de rentrer dans le vif du sujet, il est nécessaire d’introduire la notion de « taxonomie de Bloom ».
De manière brève, Bloom a divisé le domaine d’apprentissage en six niveaux, du plus simple et du plus concret au plus complexe et abstrait. Chaque niveau correspond à un niveau de compétence à atteindre. Ces niveaux sont présentés sous forme de pyramide : la connaissance, la compréhension, l’application, l’analyse, la synthèse et l’évaluation (cf. figure 1 de l'article, ou http://fr.wikipedia.org/wiki/Taxonomie_de_Bloom).
On doit suivre ces étapes de manière hiérarchique pour construire et acquérir une pensée scientifique critique qui n’est pas uniquement de la simple restitution d’informations mais aussi de la compréhension et de la créativité. L’élève accède à un niveau donné s’il est capable d’exécuter les opérations correspondant aux niveaux inférieurs.
Explication des différents niveaux :
Niveaux d’objectifs | Définition | Ce qui est attendu de l’élève | Exemples de verbes d’action |
---|---|---|---|
Connaissance | Repérer de l’information, connaître des lois, règles, formules…. | Qu’il soit capable de restituer des informations, dans des termes voisins de ceux qu’il appris. | Citer, décrire, définir, dire, nommer, répéter, énumérer, étiqueter, examiner |
Compréhension | Saisir des significations. Traduire des connaissances dans un nouveau contexte | Qu’il traduise et interprète de l’information en fonction de ce qu’il appris. | Associer, comparer, illustrer, résumer, extrapoler, interpréter, discuter |
Application | Réinvestir des concepts dans des nouvelles situations. Résoudre des problèmes en mobilisant les compétences et les connaissances requises | Qu’il sélectionne et transfère des données pour réaliser une tache ou résoudre un problème. | Appliquer, changer, compléter, résoudre, traiter, illustrer, démontrer, rattacher, montrer, modifier |
Analyse | Percevoir des tendances. Extraire des éléments. Reconnaître des sous-entendus. | Qu’il distingue, classe, mettre en relation les faits et la structure d’une question. | Analyser, choisir, comparer, contraster, diviser, isoler, mettre en ordre, séparer |
Synthèse | Utiliser des idées disponibles pour en créer des nouvelles. Généraliser à partir d’un certain nombre de faits. | Qu’il conçoive, intègre des idées en un produit, un plan ou une proposition qui sont nouveaux pour lui. | Composer, créer, élaborer, conjuguer, inventer, mettre en rapport, planifier, réécrire, réarranger |
Evaluation | Comparer et distinguer des idées. Déterminer la valeur de théories et d’exposés. Vérifier la valeur des preuves. Reconnaître la part de subjectivité. | Qu’il estime, évalue ou critique en fonction de normes et de critères qu’il construit. | Appuyer, argumenter, critiquer, décider, évaluer, juger, justifier, noter, recommander, tester |
Appliquer la taxonomie de bloom à la chimie organique
Introduire un cours de chimie organique commence typiquement par un langage différent de la chimie générale, par d’autres principes fondamentaux ainsi que par des nouvelles théories sur les réactions et les mécanismes. Deux professeurs de chimie organique ont suivi pendant un an une classe de seconde l’évolution de leur compréhension en chimie organique. Ils ont remarqué que lorsqu’ils arrivent dans les niveaux cognitifs supérieurs et commencent à examiner les applications, l’élève est toujours dans les niveaux inférieurs de connaissance et de compréhension. Les élèves se sentent débordés par la quantité de matière et sont découragés face à leur syllabus volumineux. Leur organisation de la connaissance est quasi nulle, ils n’ont aucun raisonnement logique, ils étudient par cœur. Cette divergence entre les attentes des professeurs et la performance des étudiants devient malheureusement très évidente lors des examens. Souvent, de manière non intentionnelle, le professeur enseigne à des niveaux de connaissance et de compréhension mais interroge à des hauts niveaux d’analyse et de synthèse. Résultat : les élèves se plaignent de la difficulté des examens, et de leur coté, les professeurs concluent que les élèves n’ont pas assimilé les concepts de base.
Y’a-t-il une solution ?
Pour emmener les étudiants au-delà des niveaux de connaissance et de compréhension, il faut employer une approche structurée pour étudier la chimie organique. En effet, il est nécessaire de passer du temps à montrer des connections explicites entre les principes fondamentaux de la chimie générale et les mécanismes de chimie organique pour aider ainsi les élèves à leur construire « un espace de connaissance » basé sur des principes généraux. Ces connections peuvent être faites simultanément dans la classe, le laboratoire ou encore les séances d’exercices.
Une fois que les étudiants commencent à comprendre et à maîtriser les mécanismes réactionnels, ils pourront ainsi utiliser les principes de chimie organique comme des principes de base et la chimie organique paraîtra plus facile. Ils arriveront facilement à comprendre et à emmagasiner de la nouvelle matière et se situeront plus dans les niveaux de synthèse et d’analyse et minimiseront la mémorisation par cœur.
Voici les principes fondamentaux de chimie générale nécessaires pour comprendre la chimie organique :
I. Structure A. Atomic theory B. Molecular structure 1. Ionic covalent bonding a. Electronegativity and bond polarities b. Resonance rules 2. Hybridization and geometry II. Reactivity A. Thermodynamics 1. Thermochemistry 2. Equilibria
De plus, pour appliquer la taxonomie de Bloom en classe, il est utile de consacrer du temps pour expliquer les différents niveaux de Bloom. Les étudiants sont informés qu’ils peuvent être testés au-delà des niveaux de connaissance et de compréhension et que c’est donc dans leur propre intérêt de regarder les liens entre les mécanismes réactionnels et les principes fondamentaux de chimie, pour commencer à développer leur structure mentale personnelle. Les étudiants apprécient ce genre d’approche et de conseils pour gérer toute cette quantité de matière. De plus, l’explication de cette approche psychologique donne de la crédibilité au déroulement du programme du cours.
Il est utile d’informer les étudiants des différents niveaux cognitifs des exercices par exemple mais ils profiteront davantage si le professeur prend l’habitude de pointer pendant les cours à quels niveaux cognitifs ils doivent percevoir la matière pour réussir en chimie organique.
L’exemple suivant montre comment l’utilité des principes de réactions acide-base et les formules de résonance pour comprendre la réactivité des dérivés carboxyliques et déduire le caractère nucléofuge du groupe partant dans les réactions de substitution nucléophile. Le but final est que les étudiants soient capables en regardant une molécule de prédire sa réactivité.
Explication :
Une base de Lewis possédant une paire électronique stable a peu tendance à donner sa paire d’électrons à un acide de Lewis ou à retirer un proton d’un acide de Bronsted. Plus la base de Lewis est stable, moins elle sera nucléophile et plus elle jouera le rôle de nucléofuge. Le produit de la réaction est faible énergétiquement (et donc plus stable) par rapport aux réactifs, par conséquent la réaction de substitution est thermodynamiquement plus stable (et souvent cinétiquement) favorisée. Par conséquent, les bases faibles sont des bons groupes partants.
La réactivité des dérivés des acides carboxyliques dans des réactions de substitution nucléophile, est également liée en première approximation, aux valeurs de pKa de l’acide conjugué du groupe partant. Il faut rappeler aux étudiants qu’à des acides forts sont couplés des bases conjuguées faibles. Par exemple, HCl étant un des acides le plus fort, Cl- est la base la plus faible augmentant ainsi son caractère nucléofuge. De plus, les principes de stabilisation par résonance ainsi que la polarité des molécules peuvent également être utiles pour expliquer la différence de réactivité des substitutions nucléophiles entre un anhydride d’acide et un ester. Le groupe partant d’un anhydride d’acide est un anion carboxylate et un alkoxyde pour un ester.
Contrairement à l’alkoxyde, la charge négative du groupement carboxylate est délocalisée, le rendant plus stable et par conséquent moins basique que l’alkoxyde (« jeu de la patate chaude »). Finalement, en faisant le lien qu’un ion stable est une base faible, on peut expliquer que les anhydrides d’acide sont plus réactifs dans les substitutions nucléophiles que les esters par exemple. Une fois que ces connections entre la chimie générale et les mécanismes de réaction organique sont bien comprises par les étudiants, ceux-ci sont plus aptes à réussir l’examen réduisant considérablement leur temps de mémorisation au profit de la compréhension.
Conclusions et conseils
Il est utile de montrer aux élèves ce qu’on attend d’eux et illustrer par exemple par des questions types d’examens définissant différents niveaux cognitifs.
Lors d’un questionnaire d’examen, le professeur doit évidemment mixer les niveaux faibles et niveaux supérieurs (et peut-être même les indiquer).
Avec cette méthode, une fois après avoir bien compris les principes de base, ils peuvent tout à fait réussir dans les niveaux supérieurs. De plus, les élèves gagnent en confiance et deviennent plus à l’aise avec la matière. Ils savent créer leur propre structure mentale prête à comprendre de nouveaux concepts. Ils voient plus les mécanismes réactionnels comme un ensemble, une base fondamentale que comme une collection de faits non liés entre eux qu’ils doivent mémoriser. Cet écart entre les attentes des élèves et des professeurs est par conséquent réduit et les performances des étudiants ainsi que leur confiance est augmentée.