Article The Importance of Kinetic Metastability: Some Common Everyday Examples William B. Jensen, J. Chem. Educ., 2015, 92 (4), pp 649–654 DOI: 10.1021/ed500743r résumé de G.V. 2015-2016
Les manuels de thermodynamiques sont susceptibles de laisser aux étudiants une impression erronée car ils indiquent que la seule exigence pour qu’une réaction chimique spontanée thermodynamiquement se produise est une valeur négative de ∆G. C’est une condition nécessaire mais pas suffisante car la réaction peut aussi être cinétiquement métastable ou inerte. Cette idée fausse est renforcée par l’utilisation généralisée de l’expression «Thermodynamiquement spontanée» comme synonyme de «thermodynamiquement favorable ». Si on définit le mot spontané, il implique que le processus soit initié par lui-même ou, qu'il se fasse sans contrainte externe. Mais, ce n'est pas le cas pour les réactions thermodynamiquement favorisées mais cinétiquement métastables parce qu'elles exigent, par définition, un “stimulus externe” sous forme soit d’une source externe d'énergie d'activation ou de l'addition d'un catalyseur convenable avant de continuer.
La métastabilité cinétique n’est ni rare, ni inhabituelle. En effet, un nombre incroyable de composés chimiques et de modifications allotropiques de substances simples doivent leur existence prolongée grâce à ce phénomène.
Bien sûr, il est inutile de parler d'une espèce comme étant soit intrinsèquement thermodynamiquement stable ou cinétiquement métastable. Ces termes doivent toujours être utilisés en référence à une réaction chimique spécifique et un ensemble de conditions de réaction. Lorsqu’on évalue si des espèces données peuvent être préparées et stockées en vrac sous conditions normales en laboratoire, au moins cinq réactions doivent être évaluées en ce qui concerne leur faisabilité thermodynamique à la température et pression de la pièce: l'oxydation, l'hydrolyse, la décomposition interne, la polymérisation et l’isomérisation. Si les espèces en question se trouvent être thermodynamiquement instables en ce qui concerne une ou plusieurs de celles-ci, mais peuvent encore être préparées et stockées en vrac, il peut alors en déduire avec certitude qu’elles sont cinétiquement métastables par rapport au ou les processus en question. Pour chaque espèces discutées ci-après, ils utilisent le ∆G0 parce qu’ils ne s’intéressent qu’au signe et pas à la valeur numérique.
Essentiellement tous les composés organiques qui peuvent être stockés ou manipulés en présence d’air sont thermodynamiquement instables, mais métastables cinématiquement, par rapport à l'oxydation à T° et P de la pièce.
CH4(g) + 2O2(g) → CO2(g) + 2 H2O(l) ∆G0= -817,95 kJ/mol
Le méthane est une substance dite inflammable, mais il a besoin d’une source externe d’énergie d’activation avant que l’oxydation débute.
4Fe(s) + 3O2(g) → 2Fe2O3(s) ∆G0= -1487,22 kJ/mol
Cette réaction, la rouille du fer, se fait assez lentement et seulement en présence d'humidité.
L'exposition à l'air signifie un contact non seulement avec le O2(g) mais aussi avec H2O. L'eau, à la fois comme vapeur et liquide, est omniprésente dans la nature et dans la plupart des laboratoires. Encore une fois, de nombreuses substances qui sont thermodynamiquement instables à RTP (Room temperature Pressure) par rapport à hydrolyse, peuvent être manipulées avec impunité en raison de leurs métastabilités cinétiques.
CCl4(l) + 2H2O(l) → CO2(g) + 4HCl(g) ∆G0= -236,48 kJ/mol
Prenons l’exemple du tétrachlorure de carbone qui est utilisé pour l’extraction des matières organiques à partir de solutions aqueuses.
2Al(s) + 3H2O(l) → Al2O3(s) + 3H2(g) ∆G0= -870,77 kJ/mol
Ici, la métastabilité cinétique est le résultat de la formation d’un microfilm cohérent de Al2O3 (s) sur la surface du métal qui le protège de la réaction avec de l'eau et de l'air, c’est ce qui nous permet de l'utiliser pour la fabrication de tout, des canettes, des bières, des avions…
Le diborane, qui doit être protégé du contact avec les deux, du dioxygène et de l'eau, est également thermodynamiquement instable mais cinétiquement métastable par rapport à la dissociation en ces constituants simples à RTP, voici la réaction :
B2H6(g) → 2B(s) + 3H2(g) ∆G0= -173,2 kJ/mol
Elle existe également un autre type de décomposition, la décomposition par l'intermédiaire d'une dismutation, un procédé dans lequel un composé ayant un d'état d’oxydation intermédiaire se décompose en deux produits, l’un ayant un état d'oxydation inférieur et l’autre un état d’oxydation supérieur.
2TiI3(s) → TiI2(s) + TiI4(s) ∆G0= -44,3 kJ/mol
Même quand une substance est cinétiquement ou thermodynamiquement protégée de la décomposition interne, d'autres procédés peuvent-être encore capables de compromettre son existence. Ainsi, le tétraphosphore blanc est thermodynamiquement instable, mais cinétiquement métastable par rapport à la polymérisation en phosphore rouge à RTP.
xP4(s) → (P4)x(s) ∆G0= -12,12 kJ/mol
Les phosphores blanc et rouge, sont thermodynamiquement instables par rapport à l'oxydation à RTP. Le blanc, le phosphore est cinétiquement labile et doit être stocké sous l'eau pour le protéger de tout contact avec l'air, alors que le phosphore rouge est cinétiquement métastable et peut être manipulé et entreposé en sa présence.
Ironie du sort, l'utilisation de l'eau pour protéger le phosphore blanc de l’oxydation à l'air est encore un autre exemple de métastabilité cinétique parce que le phosphore blanc est également thermodynamiquement instable par rapport à l'hydrolyse.
P4(s) + 16H2O(l) → 4H3PO4(aq) + 10H2(g) ∆G0= -677,55 kJ/mol
Le dernier et cinquième procédé compromettant l'existence d'une espèce est la possibilité de réarrangement interne ou isomérisation. Un exemple particulièrement frappant est la métastabilité cinétique du diamant, qui est thermodynamiquement instable RTP par rapport à un réarrangement de graphite.
C(diamond) → C(graphite) ∆G0= -2,83 kJ/mol
Un produit qu’on retrouve dans la plupart des cabinets de médecine, une bouteille d'une solution aqueuse à 3% de peroxyde d'hydrogène, H2(O2). Cette solution est utilisée pour nettoyer les coupures, les petites plaies de manière générale.
Le peroxyde d’hydrogène est un composé thermodynamiquement stable par rapport à l’oxydation (déjà oxydé), à la polymérisation et à l’isomérisation. Thermodynamiquement stable également par rapport à la dissociation en ses composants simples.
H2(O2)(l) → H2(g) + O2(g) ∆G0= +120,41 kJ/mol
Néanmoins, il apparaît qu'il est thermodynamiquement instable par rapport à la dismutation en eau et en dioxygène.
2 H2(O2)(l) → 2H2O(l) + O2(g) ∆G0= -233,54 kJ/mol
Vu qu’on peut acheter une solution aqueuse à 3% de peroxyde d'hydrogène dans un magasin, il faut pouvoir la conserver pendant un certain temps dans votre armoire à pharmacie, cette réaction:
2 H2(O2)(l) → 2H2O(l) + O2(g) ∆G0= -233,54 kJ/mol qui est thermodynamiquement favorisée, doit être cinétiquement inhibée.
Autrement dit, le peroxyde d'hydrogène doit être cinétiquement métastable par rapport à la dismutation en eau et en dioxygène à RTP. En général, au moins quatre facteurs doivent être pris en compte pour tenter de préserver un produit chimique cinétiquement métastable, tous sont pertinents pour ce qui est de travailler avec du peroxyde d’hydrogène : Sensibilité à la concentration, augmentations en températures, contact avec catalyseurs et exposition à la lumière.
Effet de la concentration : Plus la solution est diluée dans votre armoire à pharmacie, moins elle sera sensible à la dismutation.
Effet de la température : Une augmentation de la température augmente le taux d'une réaction chimique. Effectivement, cette réaction suit presque parfaitement la règle traditionnelle qui dit que la vitesse d'une réaction double à chaque augmentation de 10 °C en température.
Pour la solution diluée dans votre armoire à pharmacie, le stockage à température ambiante est généralement suffisant, mais pour la préservation des solutions plus concentrées, la réfrigération est conseillée.
Catalyse : De nombreuses substances sont capables de catalyser la réaction, comprenant l'hémoglobine, des ions de métaux de transition, des ions halogénures, de nombreuses enzymes, et même des surfaces rugueuses qui peuvent fournir des sites de nucléation pour la formation de bulles de gaz dioxygène. Des matériaux qu’on appelle stabilisants sont ajoutés à la solution et sont capables en quelque sorte de désactiver le potentiel des catalyseurs en trace.
Effets photochimiques : Cette réaction est photochimiquement sensible, en particulier à la lumière UV. Pour cette raison, le peroxyde d'hydrogène dans votre armoire à pharmacie traditionnelle est dans une bouteille en verre brun foncé, bien que cela a maintenant été largement remplacé par des contenants en plastique opaque.
Produit commun utilisé comme désinfectant et comme décolorant. Les auteurs ont fouillé dans une buanderie et ont trouvé une solution d'hypochlorite de sodium à 8,25 %, Na(ClO), qui est la substance active. Cette solution contient aussi un peu de chlorure de sodium et de l'hydroxyde de sodium, vestiges de son procédé de fabrication.
2NaOH(aq) + Cl2(g) → Na(ClO)(aq) + H2O(l) ∆G0= -90,45 kJ/mol
Na(ClO) est vraisemblablement complètement ionisé dans une solution aqueuse, de sorte que notre préoccupation ici est plutôt la stabilité des anions ClO-(aq). Ces anions sont thermodynamiquement stables par rapport à l’oxydation.
ClO-(aq) + O2(g) → ClO3-(aq) ∆G0= +33,5 kJ/mol
Également stables par rapport à l’hydrolyse:
ClO-(aq) + H2O(l) → H(ClO)(aq) + OH-(aq) ∆G0= +36,79 kJ/mol
Dans tous les cas, le pH élevé de la solution commerciale, en raison du légère excès de Na(OH)(aq) présent, offre des garanties supplémentaires que cet équilibre sera déplacé vers la gauche, bien que l’inverse se passera si l'eau de Javel est dilué avec de grandes quantités d’eau.
Pas de problème par rapport à la polymérisation et à l’isomérisation.
Deux problèmes de décomposition:
Le premier est la dismutation en chlorure et anions chlorate :
3ClO-(aq) → 2 Cl-(aq) + ClO3-(aq) ∆G0= -155,01 kJ/mol
La deuxième réaction est décomposition en ions chlorure et en gaz dioxygène:
2ClO-(aq) → 2 Cl-(aq) + O2(g) ∆G0= -184,51 kJ/mol
Cette dernière réaction est moins métastable cinétiquement à RTP et représente plus de 90% de la décomposition observée au fil du temps des solutions d'eau de Javel commerciale à RTP.
Les quatre mêmes facteurs qui ont affecté la métastabilité du peroxyde d'hydrogène affectent également la métastabilité de notre solution d'hypochlorite.
La concentration et la température : plus la concentration de la solution et la température sont élevées, plus le taux de décomposition sera grand.
Effets photochimiques : ces réactions sont sensibles aux rayons ultraviolets, et pour cette raison, l'eau de Javel a été vendue à l'origine dans des bouteilles en verre brun sombre, mais il est maintenant disponible dans des contenants en plastique opaque.
Conformément à ces facteurs, l'étiquette sur la bouteille d'eau de Javel indique à l'utilisateur de “stocker ce produit dans un endroit frais, un endroit sec, à l'abri des rayons du soleil et de la chaleur pour éviter sa détérioration”.
Catalyse : cette réaction est également catalysée par divers ions de métaux de transition, bien que ce problème ne soit pas aussi grave que dans le cas du peroxyde d’oxygène.
Toutes les discussions classiques de la thermodynamique chimique devraient inclure une section de mise en garde face au phénomène de la métastabilité cinétique et son rôle dans la création de la diversité chimique tant dans le laboratoire que dans le monde en général.
Il faudrait donc arrêter d’utiliser des descripteurs trompeurs « thermodynamiquement spontanés et non spontanés » et remplacer ceux-ci par une terminologie moins suggestive, tels que « thermodynamiquement autorisés et interdits » ou « Thermodynamiquement possibles et impossibles. ». L’auteur préfère les descripteurs “Thermodynamiquement favorisés et défavorisés ».
En effet, la condition ∆G > 0 ne signifie pas qu’aucune réaction se produira dans la direction indiquée, mais seulement que la réaction comme écrit n’est pas favorisée par la thermodynamique de la situation et ne sera donc pas aussi étendue que la réaction inverse. Pour exemple, la variation de phase Hg(l) → Hg(g) ∆G0= +31,9 kJ/mol est thermodynamiquement défavorisée à RTP, mais suffisamment Hg s’évapore de façon à constituer un danger potentiel pour la santé dans le cas de déversement de mercure en laboratoire.