Résumés de A.V.V, 2009-2010 (articles d'intérêt didactique) :
L’enseignement en général tient plus de l’alchimie que de la science… Des recettes imprécises, résultant de la somme de petits « trucs » pour intéresser les étudiants et faciliter leur compréhension. Certes, c’est une approche tout à fait honorable, mais n’est-il pas possible d’utiliser une approche scientifique, d’utiliser les théories de l’apprentissage afin d’enseigner le plus efficacement possible ?
De nombreux papiers existent sur le sujet, des expériences ont été menées – nous allons en faire ici un rapide résumé.
Tout le monde l’a probablement remarqué : certaines matières passent plus difficilement que d’autres, en particulier en sciences. Des études ont été menées à ce sujet, et on retrouve en effet les matières auxquelles on pouvait s’attendre :
Pourquoi ces sujets posent-ils problème ?
Il est intéressant, voire impératif, de savoir comment on apprend afin de pouvoir enseigner correctement. En effet, le modèle de l’apprentissage présenté ici permet de mettre en évidence certaines limites pouvant représenter un frein à l’apprentissage.
Nous allons expliquer, détailler et analyser ce modèle en se plaçant du point de vue de l’élève.
Tout d’abord, l’élève reçoit un nombre incalculable d’informations : rappels, concept nouveaux, nouveau vocabulaire, anecdotes, rappels à l’ordre, distractions… Ces informations sont beaucoup trop nombreuses et doivent donc être triées. C’est le travail du « filtre de perception », qui sépare les informations importantes des informations sans importances, les informations compréhensible des incompréhensibles, les ennuyeuses des passionnantes. L’efficacité de ce filtre est très variable, et un élève capable de filtrer plus facilement les informations aura plus de facilités.
Les informations qui passent le filtre sont stockées momentanément dans la mémoire de travail (working memory). Cette mémoire, qu’on peut assimiler à la RAM, garde les différents éléments d’information pendant que le cerveau les travaille. Il interprète, réarrange, compare, stocke. Le cerveau peut également aller rechercher des informations dans la mémoire à long terme, afin de les faire interagir avec les informations récentes. Le problème de cette mémoire de travail (nous y reviendrons), c’est sa capacité limitée.
Finalement, les informations, après traitement (ce qui inclut une réappropriation et une reformulation des idées), sont stockées dans la mémoire à long terme. Le stockage de ces informations peut se faire de deux manières différentes. L’élève peut stocker chaque information ou bloc d’informations séparément, comme dans des tiroirs fermés, sans lier les tiroirs entre eux. On a un tiroir « chimie organique », un tiroir « acide-base », un tiroir « calcul logarithmique »,… ou alors, il peut les stocker de façon à lier ensemble les différents blocs d’informations, formant ainsi un tout cohérent. Une méthode de stockage intermédiaire existe : la méthode linéaire. Pour retrouver la 10ème lettre de l’alphabet, il est souvent nécessaire de les compter à partir du A.
Finalement, la mémoire à long terme elle-même influe sur la qualité du filtre de perception : on filtre les nouvelles informations par rapport à ce qu’on connaît déjà.
Il n’est malheureusement pas possible pour notre cerveau de stocker et traiter un nombre infini d’informations en même temps. Sa capacité, sa mémoire de travail, est limitée. C’est assez facile à montrer. La Table 1 contient à gauche des dates en anglais. Procédez à l’expérience suivante : cachez la partie de droite (les nombres), et essayez de traduire les dates en nombres, pour ensuite réarranger les nombres du plus petit au plus grand. « Seventeenth March » devient donc 17/3 et donc 137. Si la ou les premières lignes sont relativement aisées, ça devient vite compliqué voire impossible : la mémoire de travail est surchargée et ne parvient plus à traiter les informations.
Table 1 : Une petite expérience sur la capacité de la mémoire de travail (explications dans le texte) :
SEVENTEENTH MARCH | 137 |
TWENTY-THIRD OCTOBER | 0123 |
FIFTEENTH APRIL EIGHTY-NINE | 14589 |
TWENTY-SISTH SEPTEMBER NINETEEN EIGHTY-SEVEN | 1267899 |
NINETEENTH DECEMBER EIGHTEEN TWENTY-FOUR | 11122489 |
Considérons la complexité d’un cours ou d’une question d’examen comme étant le nombre d’unités d’information à traiter. La quantité d’informations est malheureusement quelque chose d’assez subtil, et évoluant avec le temps. Ainsi, pour un élève qui apprend à lire, « cheval » représente 6 unités d’informations (C-H-E-V-A-L), alors que pour élève sachant lire correctement, ce mot n’en représente plus qu’une seule (l’entité « cheval »).
Au vu de ce qu’on a montré précédemment (l’expérience Table 1), on peut imaginer que les performances des élèves baissent quand la complexité augmente. Certes, mais à quel point ? La Figure 2a montre l’évolution des performances des élèves quand la complexité d’une question augmente. A complexité faible, la majorité des étudiants parviennent à résoudre un problème. A partir d’un certain seuil (complexité de 5), le nombre d’étudiants pouvant résoudre le problème chute très rapidement. Finalement, seul 10% des étudiants sont capables de résoudre les questions les plus complexes. Il y a donc quelques rares étudiants capables de gérer des complexités élevées, peut-être en scindant le problème en différentes parties.
La Figure 2b montre que plus la mémoire de travail est grande, plus il est facile de résoudre des problèmes complexes. La mémoire de travail moyenne est de 7, et généralement comprise entre 6 et 8. De la Figure 2b, on peut également conclure qu’il est possible de résoudre des problèmes dont la complexité atteint la capacité de la mémoire de travail moins un.
Figure 2 : (a) fraction des étudiants résolvant correctement une question en fonction de la complexité de cette question ; (b) même type de graphique, mais cette fois en séparant les étudiants en trois catégories selon leur mémoire de travail (mémoire de travail inférieure à 7 unités, égale à 7, ou supérieure à 7).
Les enseignants sont là face à un problème : comment enseigner correctement des matières complexes ? Comment noter les étudiants en fonction de leur connaissance et de leur compréhension de la matière, et non pas en fonction de la taille de leur mémoire de travail ? Ceci en sachant qu’il n’est pas possible d’augmenter la mémoire de travail…
Sachant désormais comment le cerveau humain apprend, n’est-il pas possible d’en tirer quelques techniques de manière rationnelle, scientifique, afin de mieux enseigner ? Plusieurs techniques sont envisageables.
Les problèmes de compréhension sont souvent liés à une complexité trop élevée : trop d’informations à gérer en même temps. Pour améliorer la compréhension des étudiants, il faut réduire la demande sur la mémoire de travail. Ceci peut se faire en changeant l’ordre dans lequel on enseigne certaines parties, en modifiant la vitesse, en scindant des domaines complexes en plus petites parties, en s’assurant d’aborder la matière étape par étape. Des syllabus ont été conçus dans ce but, avec des résultats encourageants. Non seulement les performances ont augmenté, mais les étudiants ont eu une attitude plus positive envers la chimie.
Une autre technique possible joue sur le filtre de perception, en utilisant des « pré-cours » (pre-lectures), sous la forme d’une série de courtes activités basées sur des connaissances précédentes, et ce avant chaque cours. Le but de ces pré-cours est de faire remonter à la surface les connaissances nécessaires, afin que le filtre de perception fonctionne plus efficacement. Cette technique a montré de bons résultats, en particulier chez les « moins bons étudiants ». La Table 2 montre clairement l’importance du filtre de perception, en classant les étudiants selon l’efficacité de leur filtre (de dépendant à indépendant). Une méthode assez originale de pré-cours consistait à faire un bref quizz sur les pré-requis essentiels pour la nouvelle matière. Les étudiants pouvaient alors soit joindre le groupe de ceux ayant besoin d’aide, soit ceux pouvant aider. Les étudiants étaient alors appariés pour qu’ils puissent s’aider (sous supervision).
Table 2 : lien entre les performances lors d’une évaluation et la qualité du filtre
N = 105 | Field Dependency | ||
---|---|---|---|
Dependent | Intermediate | Independent | |
wm = 5 | 47% | 54% | 59% |
wm = 6 | 46% | 60% | 72% |
wm = 7 | 58% | 69% | 78% |
Dans le même ordre idée, nous avons la technique du post-cours, dont le but est de consolider le bloc de matière mais surtout de le lier avec les blocs précédents. Ceci permet de mieux mémoriser la matière, de manière solide et donc de retrouver plus facilement les informations qui forment alors un tout cohérent…
Les deux publications analysées manquent malheureusement d’exemples pratiques, mais les quelques pistes envisagées sont prometteuses. Elles mettent l’accent sur le modèle de l’apprentissage présenté et sur ses conséquences. La taille réduite de la mémoire de travail représente un frein à la compréhension et à l’apprentissage, et une difficulté lors des évaluations. Il est nécessaire d’améliorer l’enseignement afin de prendre en compte cette limitation. Heureusement, il est possible de réduire sa charge en enseignant de façon plus structurée, et de profiter des propriétés des deux autres éléments (la mémoire de stockage et le filtre). Travailler sur le filtre permet d’améliorer le filtrage des informations et donc de réduire la demande au niveau de la mémoire de travail. Et améliorer le stockage des informations permet une meilleure compréhension de la matière, une mémoire à plus long terme, et un fonctionnement plus efficace du filtre de perception.
Ce travail est basé sur ces deux publications, mais il y en a de nombreuses autres sur le sujet.