Article Pedagogical Content Knowledge of Chemical Kinetics: Experiment Selection Criteria To Address Students’ Intuitive Conceptions Ainoa Marzabal, Virginia Delgado, Patricia Moreira, Lorena Barrientos, and Jeannette Moreno, J. Chem. Educ., 2018, 95 (8), pp 1245–1249 DOI: 10.1021/acs.jchemed.8b00296 résumé de F.G. 2018-2019
L'apprentissage des concepts liés à la cinétique chimique est un défi pour l'enseignement de la chimie. Les difficultés sont notamment dues au fait que les élèves ne sont pas aux centres de l'élaboration des différentes notions (effet d'un catalyseur, ordre de réaction, intermédiaire de réaction,…). Cet article reprend un ensemble de critères qui vont permettre d'élaborer des séquences d'apprentissage plus adéquates (activités de laboratoires, …). Une stratégie d'enseignement basée sur l'évaluation des idées des élèves durant des activités de groupes est également exposée.
De nombreuses recherches montrent que la cinétique chimique est perçue comme le sujet le plus difficiles dans la majeure partie des cours de physique et de chimie.
Bien que les outils mathématiques jouent un rôle dans la compréhension des idées clés, la plupart des difficultés proviennent de l’interprétation des phénomènes.
Une analyse des conceptions des étudiants et de leur évolution lors de la phase d’enseignement est nécessaire pour définir des critères pédagogiques utiles à l’apprentissage de la cinétique chimique. Ce critère pédagogique peut être combiné à un contenu disciplinaire. Ce qui résulte de cette combinaison est appelée le contenu pédagogique (Pedalogical Content Knowledge). Le PCK permet aux enseignants de déterminer quels concepts sont importants à enseigner, quels problèmes et quelles questions poser, quels instruments utiliser pour évaluer les élèves ou encore quelles matières abordées durant les laboratoires.
L'analyse des concepts de cinétique chimique perçus en secondaire et dans les études supérieures a été associée aux difficultés et à la durabilité des apprentissages. Cet ensemble permet de définir un réseau de concepts d’ancrage généraux (General Anchoring Concepts Content Map). Cela permet notamment de définir des liens entre le contenu disciplinaire et le contenu pédagogique que nous retrouvons chez les élèves.
Le tableau suivant reprend une vue détaillée des savoirs et du contenu pédagogique. Il montre comment les laboratoires peuvent aider à développer et à faire comprendre les concepts. Les enseignants peuvent donc piocher dans ce contenu pour réaliser leurs expériences de travaux pratiques, en fonction notamment des fausses conceptions des élèves.
Savoirs | Contenu pédagogique en lien avec les conceptions des élèves | Fausses conceptions des élèves |
---|---|---|
La vitesse est définie comme une variation de concentration en réactif ou en produit dans le temps | Les étudiants considèrent souvent une relation linéaire entre la concentration en réactif ou en produit et la vitesse de réaction. | Augmenter la concentration en réactifs augmente proportionnellement la vitesse de réaction. |
« L’ordre » de la réaction est établi à partir de l’exposant des concentrations dans la loi de vitesse. | Les étudiants considèrent souvent que les exposants qu’on retrouve dans la loi de vitesse sont égales aux coefficients stœchiométriques. | L’ordre d’une réaction chimique peut être déduit d’un bilan d’équations. |
L’influence de la température sur la vitesse de réaction est définie dans une constance de vitesse. Cette influence de la température est souvent modélisée par le modèle d’Arrhénius. | Les étudiants appliquent souvent le principe de Le Châtelier pour prédire l’effet de la température sur la vitesse de réaction. | Quand la température augmente, la vitesse de la réaction endothermique augmente, mais la vitesse de la réaction exothermique diminue. |
Il est possible de concevoir une série de réactions qui, quand elles sont mises ensemble, donnent la réaction globale et fournissent un mécanisme réactionnel. | Les étudiants considèrent souvent que toutes les réactions chimiques sont élémentaires (pas d’identification d’une étape plus lente comme réaction qui détermine la vitesse du phénomène réactionnel). | Il y a une confusion entre la notion d’ « intermédiaire » et de « complexe d’activation ». |
Un catalyseur augmente la vitesse de réaction en abaissant l’énergie d’activation du processus réactionnel. | Les étudiants considèrent souvent que les catalyseurs augmentent le rendement en produit. | En ajoutant un catalyseur, j’augmente la quantité de produit formé. |
Les étudiants considèrent souvent que les catalyseurs diminuent l’énergie d’activation sans affecter le mécanisme de la réaction. | Puisqu’un catalyseur diminue l’énergie d’activation, il affecte à la fois la réaction directe et inverse. | |
Les étudiants considèrent souvent que les catalyseurs n’interagissent ni avec les produits ni avec les réactifs. | Un catalyseur a besoin d’initier la réaction mais n’interagit pas avec les espèces réactionnelles ; c’est pourquoi seulement une petite quantité est nécessaire. |
Les différents critères sont résumés dans le tableau suivant :
N° | Conceptions intuitives | Attentes des élèves | Critères | Conceptions provenant d’une évidence expérimentale | Exemples |
---|---|---|---|---|---|
1 | Relation linéaire entre la concentration en réactif/produit et la vitesse de réaction. | La vitesse est directement proportionnelle à la concentration. | Ordre ≠ 1 | La relation entre la vitesse de réaction et la concentration dépend de l’ordre de réaction. | L’effet de la température et de la force ionique sur l’oxydation de I- par Fe3+. (Clock reaction) |
2 | Les exposants des concentrations en réactif dans la loi de vitesse sont égales aux coefficients stœchiométriques. | L’ordre de la réaction correspond aux coefficients stœchiométriques de la réaction. | Ordre ≠ coefficients stœchiométriques | L’ordre et la stœchiométrie ne coïncide pas toujours (seulement quand la réaction est élémentaire). | Glyoxal (Ethanedial) (clock reaction) |
3 | Appliquer le principe de Le Châtelier pour prédire l’effet de la température sur la vitesse de réaction. | Quand la température augmente, la vitesse de la réaction exothermique diminue. | Exothermique : ΔH < 0. | Une augmentation de la température augmente la vitesse de la réaction, que la réaction soit endothermique ou exothermique. | Modèle expérimental d’une réaction avec emballement thermique (réaction entre Al et HCl). |
4 | Toutes les réactions sont élémentaires. | Les espèces chimiques réactionnelles sont uniquement les réactifs et les produits. | Un intermédiaire de réaction peut être identifié. | Les espèces chimiques réactionnelles sont les réactifs, les intermédiaires et les produits (sauf quand la réaction est élémentaire). | Epoxydation du 2,5-di-tert-butyl-1,4-benzoquinone |
5 | Les catalyseurs diminuent l’énergie d’activation sans affecter le mécanisme réactionnel. | Comme l’ordre de réaction dépend du mécanisme réactionnel, il ne varie pas quand on ajoute un catalyseur. | Ordre sans catalyseur ≠ Ordre avec catalyseur | Comme le catalyseur affecte le mécanisme de réaction, l’ordre de réaction peut varier. | Oxydation catalysée (Rhuthénium(VI)) des alcools par [Fe(CN6)]3-. |
Comme le mécanisme de la réaction n’est pas affecté, le même intermédiaire peut être identifié. | Intermédiaire sans catalyseur ≠ Intermédiaire avec catalyseur | Comme le catalyseur affecte le mécanisme de réaction, l’intermédiaire de réaction peut varier. |
1) La vitesse est définie comme une variation de concentration en réactif ou en produit dans le temps.
Les élèves considèrent souvent que la vitesse d’une réaction chimique est directement proportionnelle à la concentration en un des réactifs. Ceci est d’ailleurs renforcé si l’enseignant réalise uniquement des expériences faisant intervenir des réactions d’ordre 1.
Par conséquent, pour aborder cette conception intuitive, l’enseignant devrait réaliser des expériences impliquant des phénomènes chimiques d’ordre différent de 1.
2) « L’ordre » de la réaction est établi à partir de l’exposant des concentrations dans la loi de vitesse.
Il est habituel que les élèves pensent que l’ordre de la réaction est équivalent aux coefficients stœchiométriques de la réaction pondérée. Pour aborder cette conception, il convient de réaliser des expériences pour lesquelles la réaction chimique impliquée est caractérisée par une stœchiométrie différente de l’ordre de réaction.
3) L’influence de la température sur la vitesse de réaction est définie dans une constance de vitesse. Cette influence de la température est souvent modélisée par le modèle d’Arrhénius.
Le modèle d’Arrhénius fournit la preuve que la température influence la vitesse de réaction, selon une loi exponentielle. Une augmentation de température implique une augmentation de la vitesse de réaction, que la réaction soit endothermique ou exothermique.
Pour aborder cette conception, il serait nécessaire de vérifier que la vitesse d’une réaction exothermique augmente lors d’une augmentation de température.
4) Il est possible de concevoir une série de réactions qui, quand elles sont mises ensemble, donnent la réaction globale et fournissent un mécanisme réactionnel.
Toutes les réactions du processus réactionnel sont élémentaires, ces réactions ont cependant des caractéristiques différentes : la molécularité (nombre de molécules impliqués dans la réaction) coïncide avec la stœchiométrie totale de la réaction (somme des coefficients stœchiométriques des réactifs) et l’ordre de réaction (somme des exposants dans la loi de vitesse).
De cette conception émerge deux critères : la réaction n’est pas élémentaire et l’ordre de réaction ne coïncide pas avec la stœchiométrie. Expérimentalement, il est possible d’observer des intermédiaires de réactions quand la réaction n’est pas élémentaire.
5) Un catalyseur augmente la vitesse de réaction en abaissant l’énergie d’activation du processus réactionnel.
Les élèves pensent que plus l’énergie d’activation est grande plus la vitesse de réaction est faible. Cette conception est valable si on compare des réactions qui ont lieu à même température. En effet, elle peut être vérifiée au laboratoire. Il est également possible de vérifier que lorsque des réactions ont lieu à des températures différentes, celle avec une énergie d’activation plus importante peut être la plus rapide.
Pour la première hypothèse quant à l’utilisation d’un catalyseur, les élèves peuvent observer qu’avec ou sans catalyseur (même si la durée du phénomène est différente) la même quantité de produit est obtenu ou le même état d’équilibre est atteint.
En ce qui concerne l’ordre de réaction avec ou sans catalyseur, ils peuvent mettre en évidence que le catalyseur affecte le mécanisme réactionnel. Il suffit pour cela de réaliser des expériences pour lesquelles l’ordre de la réaction avec catalyseur est différent de l’ordre de la réaction sans catalyseur (critère 5).
Il est aussi possible d’identifier une modification du mécanisme réactionnel après ajout d’un catalyseur en identifiant des intermédiaires différents de ceux impliqués dans la réaction sans catalyseur (critère 6).
Les critères proposés contribuent au contenu pédagogique sur la cinétique chimique vu qu’ils permettent de sélectionner des expériences qui répondent aux intuitions des élèves.
Dans la littérature, il existe un bon nombre de propositions d’enseignement pour guider l’apprentissage de la cinétique chimique. Ces propositions peuvent être classées selon la perspective pédagogique sur laquelle elles sont basées : constructivisme, changement conceptuel, problèmes, études de cas, investigations et modèles.
Les intuitions des élèves peuvent être conçues, à partir des perspectives, comme des modèles mentaux qui sont des structures d’objets, d’événements, de processus ou d’idées. Ils permettent aux élèves d’expliquer des phénomènes.
La modélisation, comme évolution de ces modèles mentaux, est favorable quand les enseignants fournissent aux étudiants des environnements de travail en groupe. Cela permet d’identifier les différences, de tester leurs conceptions et d’incorporer de nouvelles idées par interaction.
Dans cette technique d’enseignement (socio-constructivisme), le renforcement des apprentissages est atteint grâce aux interactions entre élèves, enseignants et savoirs. Cette stratégie d’apprentissage est structurée pour promouvoir un environnement et des activités à travers lesquelles les étudiants expriment, évaluent, revoient et appliquent leurs idées.
La figure suivante () présente une technique, non spécifique à l’apprentissage des cinétiques chimiques, mais qui peut fournir des pistes pour favoriser l’évolution des apprentissages dans ce domaine à travers des expériences.
Premièrement, l’enseignant réalise un diagnostic (évaluations ou questions) pour connaître les conceptions initiales des élèves sur la cinétique chimique. (Indentification des conceptions de base)
Ensuite, les enseignants mènent une discussion au cours de laquelle les étudiants identifient leur différence de conception au sein de la classe et l’évaluent dans la prédiction et l’explication des phénomènes (Reconnaissance de conception).
La troisième étape consiste à relever les conceptions que l’enseignant pense plus pertinente et choisit une expérience, selon un critère défini, qui permet d’aborder les concepts. Les élèves réalisent une activité expérimentale dans laquelle une explication empirique est en contraste avec leurs idées de départ. La discussion des résultats expérimentaux permet de faire évoluer les conceptions des élèves.
Enfin, l’enseignant propose des cas qui permettent aux étudiants de reconnaître les limitations de leurs modèles initiaux et analysent l’évolution de leurs idées à travers la classe (métacognition).
Les critères proposés pour la sélection d’expériences peuvent guider les enseignants pour aborder la cinétique chimique, en intégrant la pédagogie et la discipline. Ils peuvent ainsi améliorer leur manière d’enseigner ces concepts afin d’apprendre et d’ancrer plus simplement la cinétique chimique chez les élèves.
Cette technique d’enseignement, basée sur l’évolution et la modification des fausses conceptions des élèves à travers des travaux de laboratoires groupés, peut bien entendu être appliquée à d’autres domaines de la chimie.