[Article original – LinuxFr (Patrick Guignot)]
La problématique de l’accès aux connaissances scientifiques est voisine des sujets liés au logiciel libre. Dans les deux cas le but est de supprimer des barrières purement artificielles afin de redonner du pouvoir aux utilisateurs.
Les chercheurs revendiquent le libre accès aux articles scientifiques et ils ne supportent plus la mainmise des éditeurs commerciaux qui verrouillent le marché et se comportent en parasites sans apporter de valeur ajoutée.
Le mathématicien Timothy Gowers, professeur à l’université de Cambridge, vient de lancer un appel officiel au boycott à l’encontre de l’éditeur Elsevier.
Est-ce un tournant dans ce combat crucial ?
Elsevier c’est un éditeur néerlandais spécialisé dans les journaux scientifiques. Il s’agit d’un véritable mastodonte qui publie plus de 2 000 journaux différents avec une grosse présence dans le domaine médical (Cell, The Lancet) mais aussi en mathématiques (Journal of Number Theory, Advances in Mathematics) et dans beaucoup d’autres domaines (par exemple les Comptes Rendus de l’Académie des sciences).
Comme ses concurrents sur ce marché, Springer ou Macmillan Publishers, il cherche avant tout à maximiser ses profits et, on peut dire avec une prudente litote, que la dissémination des connaissances ne fait pas partie de ses objectifs prioritaires.
C’est ennuyeux parce que les chercheurs, eux, pensent en priorité à la libre diffusion des résultats de la recherche scientifique. Face au comportement prédateur d’Elsevier, le mécontentement des chercheurs est donc compréhensible et un appel au boycott vient d’être lancé par le mathématicien anglais Timothy Gowers.
Ce qui est reproché à Elsevier (et aux autres gros éditeurs commerciaux), ce sont avant tout des prix exorbitants, sans aucun rapport avec les coûts de production des revues.
La structure de production de ces journaux scientifiques est complètement ubuesque puisque les éditeurs ne supportent qu’une infime partie des coûts de production. C’est encore pire que la problématique de l’industrie musicale puisqu’un chercheur produit la matière première (un article), il l’envoie à un journal qui le fait relire et valider par d’autres chercheurs (qui ne sont pas payés) et ensuite cet article est publié dans la revue et revendu aux chercheurs par le biais des bibliothèques.
C’est aberrant mais ça marche puisqu’en 2009 Elsevier a réalisé un chiffre d’affaire de 3,2 milliards de dollars et un profit net de 1,1 milliards.
En plus cet éditeur pratique la vente couplée de plusieurs journaux à la fois (bundling), sans possibilité pour les bibliothèque de choisir certaines publications et pas d’autres. Là encore, on retrouve une problématique de vente liée qui est familière aux utilisateurs d’OS libres.
Wikipédia cite également au débit d’Elsevier divers scandales avec des journaux bidons au service des firmes pharmaceutiques.
Pour parfaire le tableau, l’éditeur néerlandais a payé des lobbyistes pour essayer de faire passer en décembre dernier le Research Works Act. Cette charmante proposition de loi visait tout simplement à interdire l’accès ouvert aux résultats scientifiques financés par l’état fédéral américain. Il n’est même pas besoin d’ajouter qu’Elsevier était un des soutiens des fameuses propositions SOPA et PIPA visant à réguler le net.
Tim Gowers a donc lancé un appel sur son blog afin que les mathématiciens s’engagent à ne plus soumettre d’article dans un journal édité par Elsevier, à ne plus valider les articles des autres (referee) et à ne plus faire partie des comités éditoriaux de ces revues.
I am not only going to refuse to have anything to do with Elsevier journals from now on, but I am saying so publicly. I am by no means the first person to do this, but the more of us there are, the more socially acceptable it becomes, and that is my main reason for writing this post.
Cet appel à un poids non négligeable puisque Gowers est un mathématicien très prestigieux (Médaille Fields en 1998). Un site web a été lancé pour permettre aux autres mathématiciens de signer cet engagement : http://thecostofknowledge.com
Au moment de la rédaction de cette dépêche, on trouve les signatures de plus d’une centaine de personnes (dont le médaille Fields Terence Tao). On peut y lire des noms très connus dans la communauté mathématique française (Laurent Berger, Alain Chenciner, Michael Harris, François Loeser, Marie-France Vigneras, Vincent Lafforgue, etc).
Même si cet appel au boycott est particulièrement emblématique, il n’est pas un acte isolé. On peut citer par exemple la pétition des laboratoires français concernant les négociations avec l’éditeur Springer.
Grâce à Internet, les chercheurs ont pris conscience qu’ils n’avaient plus besoin de ces multinationales de l’édition aux politiques commerciales antinomiques avec leurs idéaux. La vague de l’accès ouvert semble inévitable et irrésistible et le plus tôt sera le mieux !
Références :
Ping : Research Works Act, un projet de loi liberticide de plus | Didier Villers, UMONS